Abbaye de Floreffe
26·27·28 juillet 24
Village des possibles

Radio

Radio Esperanzah! - 106.2 FM


site
Détour vers le futur !

Un détour vers un futur écologique et une justice climatique, c’est possible !

  • Lundi 26 juillet 2021 à 14:00

Cette fois-ci, Alixe et Malaïka ont rencontré Raquel (Les Amis de la Terre), Ruth (Climate Justice Camp) et Frédérique (Point Culture). Ensemble, iels ont déterminé les perspectives dans la lutte climatique avec l’intégration d’un point de vue écoféministe et décolonial. Iels ont également cherché comment rendre les narratifs sur la lutte climatique accessibles et étayent des pistes afin de proposer une vision de justice climatique beaucoup plus inclusive et ancrée.

Un tout grand merci aux personnes qui ont participé à cet épisode : Ruth pour le Climate Justice Camp, Raquel aux Amis de la Terre, ainsi que Frédérique de Point Culture !

/ Télécharger / Intégrer

[Générique: Tshegue "Survivor"]

Alixe: Alors que le paysage belge est clivé, isolé par les mesures Covid, les inégalités explosent et le secteur culturel est déclaré non essentiel. Pourtant, cette période est un tournant pour nos sociétés. Il est temps que l'on se réapproprie notre histoire commune, que l'on relance la culture. Bref, c'est le moment de renaître.

Alixe: Depuis 2018, les grèves scolaires pour le climat se sont popularisées. Ces dernières ont été initiées par la jeune suédoise, désormais célèbre, Greta Thunberg.

[Extrait d'un discours déclamé par Greta Thunberg en anglais: "We are in the beginning of a mass extinction and all you can talk about is money and fairy tales of economic growth. HOW DARE YOU?" suivi d'applaudissements de l'audience]

Alixe: En Belgique, 2018 marque un tournant pour les mobilisations climatiques. La grande marche “Claim the Climate” rassemble 65.000 personnes pour battre le pavé dans les rues de Bruxelles. Les actions persévèrent et montent en intensité. On voit même apparaître dans le paysage belge des mouvements de convergence avec les gilets jaunes pour une justice climatique et sociale.

[Transition musicale]

Alixe: En mars 2019, différents gros mouvements se rassemblent et réalisent une occupation historique de la Rue de la Loi afin d'exiger de légiférer pour une loi climat. L'occupation fait des vagues dans le monde politique, mais pas que. Cette action a également posé énormément de questions au sein même du monde militant, même si les questions de lutte sociale apparaissent petit à petit dans les milieux climatiques, le climat reste la priorité. Le 24 mars 2019, l'occupation de la Rue de la Loi invisibilise la manifestation contre le racisme, prévue de longue date par des collectifs de lutte contre le racisme. Au sein même de l'organisation de cette action d'envergure, il s'est avéré que, sous le prétexte d'urgence, les bons vieux (pas si vieux) mécanismes sexistes ont été remis au goût du jour. Que ce soit dans les rôles de responsabilités, de visibilité ou dans la manière de gérer le soin aux personnes. Cependant, le mouvement se questionne et s'autocritique, Tout Va Bien sort une vidéo d'excuses et explique comment nous aurions dû procéder.

[Extrait sonore de la vidéo de Tout Va Bien, Jérôme parle: " Ce dimanche là, nous avons participé à l'invisibilisation de la manifestation contre le racisme prévue depuis des mois et il nous semblait important de le dire et de faire notre autocritique pour être cohérents avec notre ligne éditoriale". Betel parle: "Nous aurions dû montrer les liens entre la lutte pour le climat et les luttes antiracistes et décoloniales".]

Alixe: Plus tard, des actions de convergence suivent mais très vite, l'heure du couvre-feu sonne et pendant un an et demi, les mobilisations climatiques sont mises sous cloche.

[Son de cloche]

Alixe: Aujourd'hui, au lendemain de la sortie du dernier rapport du GIEC, encore plus alarmiste et effrayant que le précédent, quelles sont nos perspectives dans la lutte climatique? Avec l'intégration des points de vue écoféministes et décoloniaux, comment rendre nos narratifs sur la lutte climatique accessibles et incarnés par toutes et tous? Pour cet épisode, nous avons eu la chance de rencontrer trois invité.e.s de marque pour nous parler d'écoféminisme avec Raquel….

Raquel: (...) L'écoféminisme constate qu'il y a des oppressions aujourd'hui, des oppressions envers le monde vivant et des oppressions aussi envers les femmes et aussi envers d'autres peuples ou populations qu'on pourrait appeler plus vulnérables ou fragilisés aujourd'hui...

Alixe: D'écologie décoloniale avec Ruth...

Ruth: (...) Le mot décolonial vient juste, en fait, remettre le curseur sur comment est-ce qu'on pourrait habiter autrement le monde...

Alixe: Et des narratifs autour des conséquences climatiques qui dominent le cinéma et nourrissent nos imaginaires avec Frédérique...

Frédérique: (...) Envisager la question climatique dans une perspective culturelle, c'est-à-dire vraiment la placer dans le champ citoyen, dans le champ des pratiques artistiques, dans le champ des histoires, des récits et des discours. Je pense que c'est absolument indispensable...

Alixe: En tant qu'acteur culturel, à Esperanzah!, nous pensons que nous faisons partie de la solution. Il est impératif de recréer des espaces de débats, de confronter nos points de vue, de faire front ensemble et de trouver des alternatives viables pour une société plus juste. Alors ensemble, changeons les normes et faisons un détour vers un futur démocratique, social, écologique, antiraciste, féministe, queer.

[Générique: Tshegue "Survivor"]

Raquel: Moi, c'est Raquel Gomèz et je travaille en tant qu'animatrice d'éducation permanente pour l'association “Les Amis de la Terre”, qui est une association d'éducation permanente qui travaille des thématiques en lien avec la terre vivante, la simplicité volontaire, l'économie non-violente pour créer un vivre ensemble, une société qui soit plus juste et surtout plus connectée au monde vivant. 

Tout d'abord, je dirais que l’écoféminisme, souvent, on dit que c'est un peu un mouvement qui va à l'encontre du féminisme d'un côté et de l'écologie de l'autre.

Maintenant, je pense que c'est beaucoup plus que ça, mais, en tout cas, par rapport à la crise climatique, l’écoféminisme constate qu'il y a des oppressions aujourd'hui, des oppressions envers le monde vivant et des oppressions aussi envers les femmes et aussi envers d'autres peuples ou populations qu'on pourrait appeler des plus vulnérables ou fragilisés aujourd'hui. Et on voit qu'avec la crise climatique, elle est engendrée par des oppressions et qu'en même temps, la crise climatique engendre aussi des oppressions envers la nature, le monde naturel, donc, tout ce qui est pollution de l'eau, de l'air, de nos biens communs. En gros, perte de la biodiversité, l'exploitation des ressources naturelles.

Et puis aussi une oppression, par exemple, des pays du Nord envers les pays du Sud et aussi envers les femmes. Parce que c'est l'un des collectifs qui est le plus touché, le plus impacté par la crise climatique. Et en fait, quand on voit que via l'écoféminisme, on comprend un peu mieux comment toutes ces oppressions multiples sont interconnectées les unes aux autres. Eh bien, ça peut nous offrir une vision un peu plus élargie de la crise climatique et donc de voir qu'il y a plusieurs choses qui se passent partout dans le monde qui, en fait, ont quand même une connexion. L'écoféminisme, c'est un mouvement ou un mot un peu “fourre-tout” où on peut trouver des actions qui vont de l'action politique jusqu'à l'action individuelle, en passant par des actions collectives.

Et donc, on peut dire qu'une manifestation antinucléaire, ça peut être de l'écoféminisme. Des ateliers de reconnexion à la nature, de reconnexion à soi, aux autres, à de nouvelles manières de vivre ensemble. Voilà tout ce qui explore plutôt d'autres formes de démocratie sans hiérarchie ou même des manifestations par rapport au climat. Il y a même des actions qu'on n’appelle pas écoféministes, mais qui, pour moi, sont aussi des pratiques écoféministes, mais ce que le mouvement peut apporter avec des actions concrètes, c'est aussi un changement culturel.

Donc ce nouveau regard dont je parlais tout à l'heure, pour moi, c'est aussi un petit peu la différence avec d'autres actions, c'est que, comme il va à la racine du problème, le système capitaliste, c'est un peu comme voir le monde avec d'autres lunettes. Et donc, il dit: “Voilà, pour arriver à un changement de système, il faut passer par un changement culturel et donc nous réapproprier toute la question de nos rapports aux autres, notre rapport au vivant". Dans l'écoféminisme, c'est important l'idée de l'interdépendance avec la nature dans le fait qu'on fait partie de la nature et donc qu'on ne peut pas vivre  comme si on était complètement déconnectés. Donc c'est beaucoup plus facile, en fait, de détruire le monde vivant si on se sent complètement coupé de celui-ci. Peut être que la voilà, la crise climatique n'existerait pas si on prenait conscience qu'on fait partie de la nature et si on la détruit, on se détruit aussi nous-mêmes. Et donc, voilà tout ce travail de notre rapport à des concepts comme le travail, la production, la consommation. Ça fait aussi partie des réflexions écoféministes. Ce qui peut apporter un plus, c'est ce changement culturel qui est nécessaire pour un changement de système. On voit que l'écoféminisme décline de manière différente selon les différentes luttes qui existent dans le monde.

Aux “Amis de la Terre”, on fait partie d'un réseau international qui s'appelle “Friends of the Earth Europe”, et là, on voit par exemple que les membres des pays asiatiques vont travailler plus  l'égalité hommes-femmes, en Afrique vont travailler plus l'émancipation des femmes, en Amérique Latine, plutôt la défense des territoires ou des biens communs. Et en Europe, on crée aussi des groupes de citoyennes et des citoyens pour se réapproprier la question de l'écoféminisme et travailler l'émancipation citoyenne. Donc, pour moi, l'écoféminisme, c'est un socle commun. En fait, on se rend compte que nos luttes sont ancrées dans nos territoires, au niveau local, c'est ce qui a du sens aussi, mais qu' au final, on est toutes et tous dans la même lutte, une lutte globale.

Et en tout cas, pour l'expérience que j'ai avec le réseau international, ça nous donne de la force et de l'envie d'avancer parce qu'on sait qu'au final, c'est une lutte commune aussi. La grosse limite du mouvement écoféministe, c'est le propre de nom "écoféminisme" en tant que tel. Parce qu'on dit que c'est l'addition de l'écologie d'un côté, puis du féminisme de l'autre, alors qu'en fait, c'est beaucoup plus que ça. Voilà, il faut un petit peu creuser la question pour comprendre tout ce que l'écoféminisme peut apporter aux crises qu'on vit aujourd'hui. Et donc, d'un côté, ça rend le concept, le mouvement peu accessible à beaucoup de personnes, certaines femmes, les hommes aussi, qui se disent "en fait, ce n'est pas pour moi", le grand public en général. Et puis d'un autre côté, à la définition de ce que c'est l'écoféminisme n’est pas si évidente que ça à cerner et en plus, il se décline de manières différentes. On peut aborder la question d'un point de vue spirituel ou créatif, c'est aussi un courant académique, scientifique, politique et culturel. Et donc, c'est vrai que c'est un mot un peu “fourre-tout” et on s'y perd un petit peu. Donc pour moi, ça, c'est un peu la limite. Comment est ce qu'on rend le mouvement accessible à toutes et à tous pour que chacune et chacun puisse vraiment se l'approprier?

[Transition musicale]

Ruth: Je m'appelle Ruth Paluku-Atoka, je suis activiste dans pleins de milieux divers; antiracistes, féministes, climatiques depuis déjà quelques années. Et sinon, je suis bruxellois, je suis noir, je suis trans non-binaire. 

La définition, ce serait enfin d'expliquer comment habiter le monde autrement, de repartir de la base du mot “écologie”. Et décolonial, en fait, dans l'idée que l'écologie, en tant que mouvement aussi, a hérité d'une vision assez blanche de quelles étaient les causes du dérèglement climatique qu'on connaît depuis ces dernières décennies. L'écologie décoloniale vient juste remettre la question des rapports coloniaux et de comment le monde a été forgé par les dynamiques coloniales, depuis Christophe Colomb, quoi. Et comment la colonisation est en fait un désastre écologique. Comment la mise en place de plantations à des milliers de kilomètres de l'autre côté de l'océan, a créé des distances entre des ressources, etc. Plein de choses qui, aujourd'hui, font que l'on vit dans un monde mondialisé, là où les ressources deviennent précaires parce qu'en fait, elles sont trop chères, mais elles sont beaucoup trop chères pour les personnes qui les cultivent. Mais en fait ce n'est pas normal, enfin voilà, à l'exploitation des personnes, à l'exploitation des terres, à l'accaparement des terres, des choses comme ça.

Et toujours en parlant de cette question, de cet héritage colonial qui vient en fait justement aussi exploiter des terres de personnes spécifiques, donc de personnes racisées, racialisées et aussi exploiter ces personnes pour cette même exploitation capitaliste. C'est intéressant que pleins, je ne sais pas, d'ONG vont parler des rapports Nord-Sud, des dérèglements climatiques, des dérives, on va même parler de réfugiés climatiques, d'essayer de trouver des solutions. On essaye de pallier à des faux problèmes sans jamais pouvoir, je veux dire par pallier ; essayer de trouver une solution pour des réfugiés climatiques, ça ne résout pas le fait que par exemple, il y a des dettes coloniales illégitimes qui existent et qui mettent plein de pays anciennement colonisés dans l'embarras, pour ne pas dire d'autres mots. Il n'y a pas moyen, en tout cas pour moi, de ne pas aborder les questions d'écologie sans parler des questions coloniales. Et par exemple, en fait, ce qui est intéressant dans mon parcours en tant qu' activiste, c'est aussi de voir comment les narratifs se construisent au présent. Parce que là, on parle de mémoire coloniale, etc. mais comment est ce que les narratifs se construisent au présent, c'est aussi des narratifs qui oublient dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui. On est en plein Bruxelles, on vit aussi dans une ville construite en fait sur un peu une ségrégation entre des quartiers populaires, etc. Quand on fait ça, ça a des incidences aussi sur des questions écologiques, même dans le milieu urbain. C'est intéressant parce qu'au tout début, il y a peut être...

En 2018, quand j'ai commencé à m'intéresser à ces questions-là, je me suis intéressé à regarder s'il y avait une incidence climatique à vivre dans un quartier populaire. J'ai regardé un peu s'il y avait des études sur Bruxelles, il n'y avait pas vraiment beaucoup, il y avait peut-être juste quelque chose qui disait "oui, pollution de l'air, etc". Mais on n'arrive pas vraiment à savoir où est ce que l'incidence allait au niveau physiologique pour les personnes. Par exemple, de savoir si ça touche certains quartiers ou pas? Est-ce que, par exemple, la présence d'espaces verts à certains endroits va pouvoir capter justement cette pollution ou pas? etc. Mais je me suis intéressé à Paris, qui est hyper intéressant parce que du coup, à Paris, c'est cette patate quoi et à l'extérieur, il y a les banlieues. Et donc, du coup, la distinction entre quartier populaire et banlieue est assez classique, alors qu'à Bruxelles, il y a toute cette histoire de quel côté du canal tu te trouves en fait, est-ce que tu es dans le croissant pauvre ou pas. C'était beaucoup plus difficile à étudier.

Et du coup, c'était hyper intéressant parce qu'en fait, je tombe sur une étude qui, concrètement, explique que parce que tu vis dans un milieu populaire, tu es probablement beaucoup plus sujet à la pollution sonore. Donc, en gros, on va dire auprès de grandes industries, on pourrait prendre l'exemple de Van Praet à Bruxelles, par exemple ou il y a la gare de Schaerbeek qui arrive, des industries qui sont là et quelques grands bâtiments, le quartier Colignon, par exemple, à Schaerbeek. Mais ce qui était intéressant, en fait, c'était l'incidence sur les personnes qui sont là, qui sont majoritairement des personnes racisées, comme on le sait. Et en fait l'incidence c'était que tout simplement il y a un médecin qui a remarqué que plein de nourrissons avaient des problèmes d'audition à cause de l'insalubrité des HLM qui sont mal isolés et souvent des problèmes d'asthme. Ce qui est intéressant dans tout ça, dans toute cette histoire, ce n'est pas tellement de savoir comment est ce qu'on parle en fait des personnes racisées en fait dans les questions d'écologie, mais de savoir qu'en fait, l'incidence-même de la colonisation en tant qu'histoire et que système et qu'agencement des personnes dans l'espace public et de définir comment est ce que les gens vont vivre, comment est ce que les gens vont être exploités, etc. Ça a un incident sur les corps en fait. Et c'est cela qui est hyper important, en tout cas au niveau de l'incidence des questions climatiques et des dérèglements climatiques sur les personnes racisées.

C'est ce que je trouve assez faible des fois, dans les narratifs, je dirais, que je vais nommer blanches, qui vont parler en fait de manière très technique de la question climatique qui est une question technique, mais qui va du coup déshumaniser un peu la question climatique. Et c'est déjà un processus, quand on parle de questions raciales, etc. qui ne va plus parler de la question climatique comme une perte, comme une question qui va toucher les corps des personnes. Et quand les corps des personnes sont déjà racialisés dans la société, beh oui, certains corps vont être plus touchés que d'autres. Et du coup, ça veut dire la mise en exploitation des personnes racisées durant la colonisation. Le fait que des personnes aient dû traverser l'Atlantique, perdre tout, tout un héritage culturel, etc. ou recréer un héritage culturel, d'avoir dû exploiter la terre, empoisonner la terre dans laquelle on les a déplacées, de se nourrir de ces poisons.

Par exemple, quand on parle de la Martinique et la Guadeloupe dans l'actualité, avec des questions de pesticides et des poisons déposés par l'État français. C'est des choses qui touchent au corps, mais ça touche aussi à la psyché, en fait, ça touche à la psyché de savoir "comment est-ce que ça se fait que maintenant, du coup, je suis encore empoisonné dans un pays qui est, en fait, encore sous domination française ?". Qu'est ce que ça fait aussi de savoir que tu contamines tes enfants? Donc, moi ce que je trouve intéressant quand je parle aussi des questions raciales, c'est juste de revenir à un côté humain. Et je pense que c'est génial que des personnes qui parlent de la technique, etc. Mais au niveau humain, de quoi est-ce qu'on parle?

[Musique: Kusema de James BKS]

Frédérique: Je suis Frédérique Muller, je travaille chez “PointCulture” et je suis responsable des projets environnement. J'achète les documentaires qui sont, ensuite, dispatchés dans le réseau des “PointCulture” et je travaille beaucoup sur le cinéma de fiction. Pour regarder un petit peu quelles sont les représentations qui sont véhiculées et on publie des outils papiers et des outils numériques pour aider à utiliser les films dans une démarche de sensibilisation et de réflexion. 

La question climatique, jusqu'à présent, est beaucoup traitée sous un angle scientifique. C'est devenu vraiment une question traitée par les experts, avec un vocabulaire d'experts, avec beaucoup de faits, de chiffres, les courbes, c'est assez emblématique quand on parle de la question climatique. Et je trouve que c'est une approche qui peut être assez excluante, qui n'est pas non plus très efficace. Et puis, sur le plan démocratique aussi, je trouve que c'est un discours qui peut être assez problématique. Du coup, par rapport au traitement de la question climatique, je trouve qu'ouvrir vraiment tout à fait les approches possibles, les croiser, donc inclure la question démocratique, mais inclure aussi, enfin envisager la question climatique dans une perspective culturelle. C'est-à-dire vraiment la placer dans le champ citoyen, dans le champ des pratiques artistiques, dans le champ des histoires, des récits et des discours, je pense que c'est absolument indispensable pour que chacun puisse, de là où il est, s' emparer de cette question, avec tout ce que cela évoque pour lui en termes de compréhension du problème, mais aussi en termes éventuellement de solutions. Et du coup, moi je travaille beaucoup sur le cinéma, beaucoup sur les images, beaucoup sur les histoires. Ça me semble vraiment très pertinent aujourd'hui parce qu'en fait, les faits scientifiques n'existent jamais sans le sens que les histoires leur donnent. C'est super intéressant de regarder ce que le cinéma nous raconte par rapport aux thématiques environnementales.

Quand on parle de la question climatique, je pense que chez presque tout le monde, on a des images de cinéma qui émergent dans nos imaginaires, dans nos pensées. On s'y réfère consciemment ou pas, mais je pense qu'il y a vraiment des idées qui ont nourri le cinéma et que le cinéma nous renvoie en retour. Et donc, ça fait une espèce de boucle comme ça qui peut être en fermente à un moment donné. Et le cinéma pour moi, il est vraiment majeur parce que c'est un vrai compagnon de la modernité. Et dès les premiers films, le cinéma s'est montré fasciné par l'industrie, la mécanique, la conquête. Il a filmé des trains, il a filmé des sorties d'usine, il a filmé la conquête de la Lune. Ce sont vraiment des thèmes qui sont présents dès le début du cinéma, ainsi que la place de la voiture, la place de la mécanique. Ça, c'est vraiment un témoin parfait pour nous signifier, fin pour nous montrer, quel récit nous a accompagnés.

Je ne sais pas si c'est un outil utile actuellement. En tout cas, il est puissant et il est efficace pour coloniser nos imaginaires. Et donc, ce serait tout à fait pertinent de s'en emparer pour cesser de raconter la même histoire. Maintenant aujourd'hui, très clairement, le cinéma évolue dans un cadre qui est très occidental, un cadre qui est aussi assez masculin. Et donc, forcément, il y a certaines limites dans son discours. Et puis, le cinéma, c'est aussi un enfant de l'Anthropocène, c'est aussi un art qui est très consommateur d'énergie et qui met en scène, depuis les débuts de la modernité, la mise en œuvre de l'utilisation de cette énergie.

Maintenant, dans le cinéma, il n'y a pas que de la fiction, il y a aussi du cinéma documentaire. Et dans le cinéma documentaire, là il y a une vraie richesse et une vraie diversité. Je trouve qu'il y a même plus de liberté dans le cinéma documentaire aujourd'hui que dans la fiction. Je perçois le cinéma de fiction, donc ça, c'est ma réception, mais comme des narratifs qui sont assez contraints.

J'ai l'impression qu'au documentaire, il y a plus de place à la subjectivité, plus de place aux portraits et une plus grande envie aussi d'aller vers des choses qui sont désirables. Et ça, pour moi, c'est la vraie question. Parce que penser les possibles, c'est vraiment une question très vaste et très complexe. Et ce que je perçois quand je fais les animations ou quand je parle du cinéma, c'est que l'enjeu il est de créer des possibles qui fassent envie, de créer des désirs, de réinventer des rêves et des désirs, de pas tout le temps voir ça comme un retour en arrière, des contraintes, de voir comment les visions de l'avenir peuvent faire rêver aussi. Pour moi, la ligne, c'est la verticalité, donc c'est très clairement les tours mais les tours, c'est aussi ce qui nous éloigne du sol, ce qui nous éloigne du terrestre, de l'Humain.

Et aussi, si on va un peu plus loin, de tout ce qui est animal, émotion, organique, c'est vraiment une trajectoire qui imprime très fort à la modernité. La ligne, c'est aussi la linéarité du temps, c'est-à-dire vraiment se raconter comme partie prenante d'une histoire qui a un début, qui suit une route et qui a une fin. Ça, au cinéma, la mise en scène de la chute, de la fin ou du point de basculement, c'est vraiment un grand thème. C'est important aussi de saisir cette image-là pour voir comment ça nous place dans une situation où on n'arrive pas à imaginer un au-delà, voire une bifurcation. A un moment donné, comment on peut s'éloigner de cette trajectoire. Typiquement dans la rue, quand on parle de revenir à un niveau de consommation moins intense, souvent, on entend cette idée qu'on "ne va pas revenir au Moyen-Âge quand même!". Le Moyen-Âge, c'est vraiment une époque qu'on entend souvent référée, qui est aussi assez fréquemment développée au cinéma, où on imagine un peu des petits villages avec des gens habillés en toile de jute. C'est vraiment un univers fantasmé au cinéma qui y est fort présent pour imaginer ce retour en arrière. Donc, moi, j'y vois quand même comme une espèce de curiosité. Là, enfin, on se raconte qu'il y a eu ici quand même quelque chose de marquant sur cette ligne, à un point où on serait menacés de revenir en arrière. Et ça, pour moi, c'est assez problématique de s'imaginer qu'on est sur une ligne qui n'a pas de voie de côté et que forcément, réduire notre consommation ou changer notre mode de vie, ça veut dire régresser sur cette ligne. Et le troisième élément que je vois dans cette figure de la ligne, c'est aussi la ligne qui clive, en fait. Typiquement, dans les films, ce sont ces villes qui sont closes par des murs, des murailles ou des barrages d'entrée, ou alors où l'entrée a un coût. Donc, ça veut dire qu'il y a des gens qui peuvent survivre à l'intérieur d'une zone protégée ou bénéficier du minimum de confort ou de ressources qui restent. Et ça exclut beaucoup d'autres qui, souvent, sont mis à profit. C'est un motif qui est fort développé pour le futur et dont on voit tout de suite très bien les liens avec le présent aujourd'hui. Et c'est valable pour les trois points. Cette verticalité, linéarité et inégalités sociales. Ces trois éléments que le cinéma développe fort au futur et qui résonnent très fort déjà dès maintenant.

[Générique: Tshegue "Survivor"]

Alixe: Les intervenants et intervenantes sont unanimes sur un point, il est urgent de lire la crise climatique avec une lecture des oppressions des dominations sur les vivants, à savoir les peuples, les genres et la Terre, par exemple. Pour pouvoir se projeter vers un avenir, il y a un besoin de reconnaissance et de mémoire de l'Histoire, notamment vis-à-vis de notre passé colonial. Il faut nous reconnecter à nos racines pour envisager le présent et se reconnecter à nos vécus, au concret. Enfin, cela doit pouvoir contribuer à un changement culturel de nos récits, de nos histoires, de nos perceptions du monde, mais aussi de l'avenir. Laisser la place à de nouveaux narratifs nous permettra aussi de nous détourner de ce à quoi nous serions prédisposés, comme la perpétuité des rapports de domination ou encore de cette ligne qui serait un grand basculement du monde, de l'univers. La culture et les histoires sont un réel outil pour nous aider à avoir une vision du monde plus juste et à éviter les raccourcis, réinventer des rêves et du désir. Et oui, l'avenir peut faire rêver. Alors oui, faisons un détour vers un futur où l'écologie est décolonial et l'écologie est féministe et où l'urgence de la ligne à ne pas dépasser ne sert plus à excuser l'invisibilisation ou l'exploitation des autres.

Alixe: Ce podcast a été réalisé par Esperanzah! Music Festival en collaboration avec Tout Va Bien dans le cadre de sa campagne en éducation permanente avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Alors tout d'abord, un grand merci à Malaïka et Fred, merci à Radio Panik pour son accueil. Merci à Ruth pour le “Climate Justice Camp”, à Raquel pour les “Amis de la Terre” et à Frédérique de “PointCulture” pour leurs interventions. Merci à Laura pour sa sélection musicale de feu. Vous pouvez retrouver les détails de celle-ci dans les retranscriptions de cet épisode. Et encore un tout grand merci à “Ultra Vague” pour son montage et mixage et spécialement à Cassi pour ses nombreux conseils. Merci également au travail des personnes du Village des Possibles qui sont venues alimenter les prémices de ce projet et que l'on retrouvera dans les prochains épisodes.

[Générique: Tshegue "Survivor"]